BEFORE THE STORMDans ma vie d’avant, aussi loin que je m’en souvienne, j’ai connu… La peur. Non pas du monstre dans le placard mais des coups de ceinturon de mon père et des larmes de ma mère. Quelques rares moments de soulagement lorsqu’il s’en aller travailler où nous pouvions rire ensemble. J’ai connu des foyers lorsque les poings de cet homme ont eu raison du peu de flamme de vie qui animait encore ma mère. Puis j’ai connu les échecs, l’humiliation. Une scolarité bien trop stupide pour s’y attarder. Je ne faisais que passer et me concentrais sur les cours, devenant un de ces intellos qu’on aime martyriser. Mais un intello qui sait se défendre et se surpasser physiquement. Pas vraiment l’archétype de la victime, mais bien au contraire, le défenseur des opprimés d’école. Et en prime, j’étais scout. Pas trop fan de l’uniforme, mais l’impact que je laissais dans ce pays me faisait chaud au cœur.
Puis on m’a proposé de financer mes études via un recrutement dans l’armée. J’ai accepté. Et là j’ai su quelle était ma place : auprès de ces frères avec qui j’en ai bavé à passer les épreuves. Ces types avec qui j’ai saigné, sué, traîné dans la boue. Semper Fidelis n’a jamais autant fait battre mon cœur que lorsque j’ai rejoint mon unité de l’USMC en tant que Capitaine. J’ai connu ces rires autour d’un barbecue, ces bières partagées, ces présentations avec des femmes pour le temps d’un soir, cette joie de faire partie d’une famille de servir ma patrie, d’être un fier représentant américain. Puis j’ai connu ces champs de batailles, ces guérillas ennemis à me précipiter auprès d’un frère pour maintenir de la pression sur l’endroit où se trouvait sa jambe, ces hurlements. Mais aucune peur. Le revers de la médaille pour défendre la liberté et apporté la paix en ce monde. Je me suis démarqué en Afghanistan, atteignant le grade de major puis de lieutenant-colonel. Très vite j’ai arrêté de sourire. J’ai arrêté de m’attacher à la bleusaille, j’ai rompu ce lien avec mes frères pour éviter qu’ils ne s’attachent, qu’ils ne se mettent en danger sur le champ de bataille pour moi et que ça soit moins dur pour eux si j’y passes. Connerie. Ils se sont quand même attachés et moi tout autant. Mon ultime connerie a été de contesté un ordre de l’état-major, d’ordonner à mes gars d’abandonner un périmètre stratégique pour la défense des champs de pétroles pour les sauver.
La fois de trop sans doute. On m’a renvoyé, et j’ai quand même perdu un homme dans l’histoire. Bob. On le surnommait Houston à cause de sa ville d’origine. Et c’est sans uniforme que je me suis rendu à son enterrement. C’est sans uniforme que j’y ai rencontré sa cousine. Une Atlanta en puissance. Ça tombait presque bien, avec mes économies et les aide à la réinsertion de l’armée pour retraite anticipée, j’ai pu me payer une bicoque non loin, dans la ville de Macon. J’y étais assez peu étant donné mon nouvel emploi de gardien de nuit. On s’est revu un soir. Puis un autre. Et encore un autre avant qu’elle ne finisse par rester un peu plus tard pour prendre un café. Et on a recommencé. Encore et encore jusqu’à ce que je lui propose de venir vivre à la maison. Je lui ai passé une bague au doigt. J’avais l’impression que le soldat était définitivement mort, même si je me faisais assez souvent démarché par la même société sur Linkedin. Un truc d’armée privée et de mercenariat. J’aurai pu refuser indéfiniment leurs offres. D’autant plus que j’allais devenir père.
J’aurais pu. Mon pick-up au garage, Atlanta devait venir me chercher au travail avec sa voiture. Peu avant la fin, une bande de résidus de fond de gang était décidé à forcer les portes du magasin où j’étais affecté à la sécurité. Je les ai envoyés paître manu-militari. Ils m’ont insulté, m’ont menacé. Je ne les ai pas pris au sérieux. Ils ont dû voir Atlanta venir me chercher. Ils ont dû repérer sa bagnole. A la fin de la semaine, je la retrouvais elle et notre futur enfant criblé de balle dans la morgue du commissariat de Macon. Je vous laisse deviner à quel moment ai-je renoué avec mes vieux démons ? J’ai retrouvé ces types. Je les ai passé à tabac, j’ai retourné leur squatte, ils m’ont supplié de les laisser tranquille mais je ne comprenais rien dans ces gargouillis de gorge emplies de leur propre sang. J’ai déchaîné sur eux toute la fureur dont j’étais capable. Et j’ai tourné en rond. Quelques jours. Semaines. Mois. Sans emploi, m’enfonçant peu à peu dans cette haine profonde, cette envie de me venger de ce monde, perdant peu à peu le sens de Semper Fi. Jusqu’à ce que Jim Columbus ne me contacte. Un de mes anciens subordonnés. Capitaine Wilson.
Il m’a parlé de cette entreprise qui recherche des vétérans, prête à nous permettre de rebondir, à laver nos casiers pour certains, et nous refoutre un fusil dans les pattes pour des missions de mercenariats. Cette même entreprise qui me contactait sans cesse sur Linkedin. J’ai accepté. Ce n’était pas toujours tout beau tout rose. Entre les missions d’escorte de VIP en territoires hostiles, les assauts aux côtés des cartels les plus riches ou encore l’extraction de criminels en cavales, je n’avais plus le temps de souffler, de me remémorer les douleurs et les peines. Pour certaines missions, on devait patrouiller avec des chiens. J’ai compris que pour correctement faire mon devoir dans cette entreprise il fallait que je m’en procure un. J’ai filé à un refuge de ma ville et c’est là que j’ai eu le coup de cœur pour ce chiot. Un pitbull. Macon. Mac pour les intimes. Je n’ai même pas eu le temps de le dresser complétement que cette merde nous est tombée sur le coin du nez.
DURING THE STORMJim mort. Un junkie bien trop résistant, descendu. Que devais-je faire ? Des émeutes apparaissaient çà et là. C’est en tout cas ce que j’entendais sur une émission pirate de la radio dans mon pick-up. On parlait de cannibalisme. D’immortels. Tout ce que j’ai trouvé de mieux ce fût de foncer jusqu’à ma maison, de m’y cloîtrer avec mon Macon, de tenter de grapiller des infos. En tout cas jusqu’à ce que le jus fût coupé. J’avais par chance de quoi tenir plusieurs semaines. Je n’en étais pas à creuser un bunker dans le jardin, mais presque. Alors j’ai observé. Ecouté. Tenté de comprendre. Finalisé bien précocement le dressage de mon chien pour lui apprendre le silence. Je me suis mis à l’étage de la maison avec des jumelles.
Puis les vivres se sont amenuisés. J’ai dû sortir. Embarquant avec moi mon matériel, je savais le risque que je courais à ne pas pouvoir revenir en arrière. Et dans l’armée, on ne s’attache pas aux biens matériels. Règle d’or. C’est mieux quand tout se fait pilonner par l’ennemi ou envahir par des morts qui marchent. Parce que très franchement, certains de ces pourris ne passent plus le contrôle technique. Le supermarché du coin. C’est là que j’ai rencontré ce drôle de couple. Elle tenait tellement à prendre un caddie et lui tentait de lui faire comprendre que de toute façon ça ne servirait à rien. Ils avaient l’air tellement dans l’incompréhension. Ils m’ont vu arriver, armé jusqu’au dent. Ce vieil homme a juste levé la canne et m’a sommé de reculer, qu’il était prêt à en découdre. Sur son poignet, ce « Semper Fidelis ». J’ai simplement souri et relevé ma manche. Il a vu mon tatouage. Il a rabaissé sa canne et m’a demandé de les aider. Comment le refuser ? Nous avons récupéré des vivres. Du moins ils le faisaient pendant que je sécurisais les alentours.
Ils nous ont hébergé, Mac et moi. Ma nouvelle mission : veiller sur eux. Ça a bien failli capoter quand la femme a fait une crise d’hyperglycémie. Comment peut-on avoir un trop plein de sucre en pleine apocalypse ? Paul m’a indiqué quoi faire : aller chercher d’urgence un type d’insuline à effet rapide. J’ai couru. Fusil en main, j’ai couru. J’ai dézingué les morts sur mon passage et j’ai forcé la porte de la pharmacie. Quelle connerie. L’alarme sur batterie s’est déclenchée. Et j’ai mis en danger le pharmacien qui y vivait m’incendiant de tous les noms. Il a réussi à maintenir cet endroit clos et a repoussé les pillards avec l’aide d’une armoire à glace plutôt intimidante et un p’tit jeune. Ils ne m’avaient même pas vu arriver et j’ai été bien trop rapide à forcer la grille de sécurité et à défoncer la porte pour qu’ils ne m’entendent. J’avais besoin de leur aide. Ils avaient besoin d’un nouvel endroit où s’installer. Je leur ai proposé de me suivre s’ils me fournissaient de l’insuline et les ai prévenus que s’ils me la faisaient à l’envers, ils le regretteraient.
La ville de Macon étant ce qu’elle est, la pharmacie a sonné durant des heures entières rameutant une véritable horde. Et l’appartement de Paul et Mary était bien trop petit pour leurs quatre invités. Cinq si l’on compte Mac. Il nous fallait un autre endroit. Dans une autre ville. Nous avons rassemblé le nécessaire. J’ai dû faire comprendre à Mary qu’il était bien plus important qu’elle se souvienne de sa vie d’avant plutôt que d’emporter avec elle tous ces classeurs de photographies. Notre seul espoir semblait être de se rapprocher suffisamment d’Atlanta pour y faire des descentes mais d’en rester à l’écart pour éviter les morts. Pendant quelques temps nous avons plantés notre bardage dans des stations-services, des dinners et autres zones résidentielles lambda. Ils suivaient mes directives car selon eux j’avais de bons conseils et j’étais vif d’esprit. De là à me considérer comme un chef… On en était loin ! Sauf qu’ils ont commencés à m’appeler lieutenant après la seule soirée où j’ai parlé de mon passé.
Des semaines se sont écoulées. Plusieurs mois étaient passés depuis le début de cette merde. On s’est installé dans un motel et pour la première fois nous avions notre chez nous. Au cours d’une partie de chasse avec l’armoire à glace, nous sommes tombés face à cette fille. Elle avait l’air apeurée. J’ai baissé mon fusil et j’ai réussi à la raisonner suffisamment pour la ramener auprès des nôtres. Certes, j’avais d’avantage peur qu’elle ne soit une espionne d’un autre groupe et qu’ils ne convoitent nos denrées, mais je n’allais pas l’enfermer de force. L’avoir à l’œil serait suffisant, non ? Une nouvelle connerie pour le Lieutenant-Colonel Sutter. Cette fille s’est avérée être la frangine du jeune. Et c’est une véritable casse-pieds. Dès qu’elle a repris des forces, elle n’a pas arrêté de me contredire et de m’envoyer sur les roses. Elle a même pris la liberté de peindre sur mon gilet pare-balle l’une des rares fois où celui-ci a quitté mes épaules. En dehors de ça, la vie suivait son cours. On améliorait notre campement avec une station de récupération d’eau et de filtrage, quelques plants de légumes. On avait même un poulailler.
Puis est arrivé ce qui devait arriver. Un autre groupe nous est tombé dessus. Je revenais avec quelques prises lorsque j’ai entendu les coups de feu. J’ai lâché mes trouvailles et en revenant, j’ai vu cette véritable émeute. Certains avaient embarqués Josephyne. D’autres tentaient de capturer son frère et le pharmacien. Le canadien et moi nous sommes séparés. J’ai pu faire diversion le temps qu’il aille les sortir de là et qu’il les mette à l’abris. C’est la dernière fois où j’ai pu voir leurs visages. Grâce à mes tirs de précisions, j’ai couvert mon ami, descendu ces types jusqu’à ce qu’ils lâchent l’affaire avec les survivants sur place et qu’ils s’en viennent à m’assaillir. Tous les fusils braqués sur moi, je retenais difficilement Mac de leur foncer dessus. Puis il a détallé en entendant les cris de Mary. J’ai dû me replier dans la forêt bordant le motel. Ils avaient l’avantage du nombre. J’avais l’avantage du terrain. Je les ai laissés me dépasser, me camouflant avec de la boue et des feuilles. Jouant du couteau j’en ai terrassé une bonne partie avant qu’une horde ne viennent vers nous. Profitant de la pagaille offerte par mes alliés décédés, je me suis fait petit pour retourner jusqu’au campement. C’est là que je les ai vu, Mary et Paul. Morts, abattus alors qu’ils se tenaient la main. Et Mac qui finissait d’égorger un de ces types.
J’ai rassemblé mes affaires et me suis lancé sur la piste de mes compagnons. Mais plus ça allait, plus la piste refroidissait. Les semaines se sont de nouveau écoulés, allant ça et là, campant hors des zones urbaines, limitant les feux, dormant à la belle étoile en compagnie de Mac. Les semaines sont devenues des mois. La solitude est devenue folie. Et ce visage de Josephyne hantant mes paupières dés que mes yeux étaient clos. Je la vois encore hurlant le nom de son frère. Hurlant mon nom également pour que je la sauve. Ces vies qui comptaient sur moi et j’ai simplement échoué.
Puis ce jour est arrivé. A bout de force, à ne grapiller que quelques minutes de sommeil de temps à autres, affamé. J’ai été surpris sur un pont par une horde alors que je pensais avoir retrouvé une piste. Celle de Josephyne. J’ai ouvert le feu. La sangle de mon fusil solidement attachée autour de mon buste. J’ai tiré. Encore et encore. Mac a détalé à travers la horde, bien trop rapide pour se faire attraper et bien trop hargneux pour ne pas faire chuter les morts fébriles qui lui barraient la route. Le pont n’a pas supporté tout ce poids. Je n’ai eu que le temps d’en sauter pour tenter de maitriser ma chute lorsqu’il s’est effondré, laissant la horde tomber dans Chattahoochee River. Blessé par les rocher, secoué, amoché, je me suis retrouvé étendu sur un semblant de plage boueuse. Mon chien m’avait suivi depuis la berge. Le mélange de sang et de vase m’entourait.
Ç’aurait pu être la fin. Mais lorsque j’ai rouvert les yeux, j’étais allongé dans une infirmerie de prison, délesté de mes biens et attaché aux barreaux d’un lit. J’ai bien tenté de faire la malle, mais difficile de crocheter des menottes avec une pince à cheveux lorsque l’on n’a même pas de cheveux pour en planquer une. J’ai rencontré mes tauliers. Ils n’ont pas fait ça pour me nuire mais pour me sauver et s’assurer de la sécurité de leur groupe. J’ai vu qu’ils avaient pris soins de mon matériel et de Mac. Je les ai remerciés. J’avais pour ordre de faire mes preuves pour rester avec eux. Je leur ai raconté mon histoire. Ils ne m’ont pas fait de fausses promesses. Je leur ai fait comprendre qu’au premier signe de vie d’un des miens, je partirai à leurs recherches et je reviendrai avec eux ou je ne reviendrai pas du tout. Ils ont accepté. J’ai pu guérir de mes plaies, quoique certaines sont encore douloureuses. J’ai pu faire mes preuves petit à petit, même si je ne me sens pas encore comme étant pleinement l’un des leurs. Je leur dois la vie, et par cette dette, je suis engagé corps et âmes à leurs côtés. C’est ainsi que j’ai rejoint l’alliance. C’est ainsi que je voue fidélité à ce groupe tout en continuant de chercher le mien. Et c’est ainsi que je continue de penser à Memphis bien malgré moi.