Gather or split [Abel]

Juillet 2020

"Et là , tu en penses quoi ?"

Alden désigna la rue adjacente à son compagnon de route. Ils étaient partis tôt le matin en repérage, afin d'éviter la chaleur. Alden et Isaac avaient quitté le Military Camp depuis un peu plus de trois mois maintenant. Une décision qu'Alden regrettait sans cesse. Certes, le camp rencontrait un certain nombre de problèmes, mais le nombre faisait la force et ils étaient dans un espace enclot et protégés. La situation actuelle n'était pas gravée dans le marbre et pouvait s'améliorer. Mais Isaac n'avait rien voulu écouter, et c'était la raison pour laquelle ils étaient en mouvement constant depuis. Ils retournaient en direction de Madison, en faisant quelques détours pour explorer la région. Alden avait au moins obtenu cela: qu'ils essaient au moins de voir s'il n'y avait pas d'autres communautés mieux organisées où ils pourraient se poser. Il n'y avait rien d'excitant à être constamment sur ses gardes pour éviter morts et vivants, à manquer de nourriture et à dormir d'une oreille. Et encore, on était en été, il redoutait ce qu'il adviendrait en plein hiver.

Dans leur périple, ils avaient croisés quelques autres survivants qui avaient choisi de faire un bout de route avec eux. Abel était de ceux-là. De ce qu'Alden en avait compris, il avait été séparé de son propre groupe et ne savait pas bien où les chercher. Une histoire désormais tristement banale. Ils étaient six actuellement, et Alden ne savait pas combien de temps cela durerait. Entre ceux qui se feraient attraper et ceux qui choisiraient de tenter leur chance ailleurs...

Cela faisait plusieurs jours qu'Alden avait décidé que leur errance devait s'achever. Il fallait trouver un endroit où ils pourraient s'installer à plus ou moins long terme, où ils seraient en sécurité, sinon des vivants, au moins des rôdeurs. Avec un lieu où laisser leurs affaires et se reposer, ils seraient plus à même d'explorer la région, de se défendre, d'entreprendre des recherches et peut-être de vivre un peu plus au lieu de survivre au sens le plus littéral du terme. Il n'était pas le seul de cet avis dans le groupe et leur voix avait finalement prévalu. C'était pour ça que ce matin là, il se trouvait dans une bourgade abandonnée en compagnie d'Abel, à la recherche d'un coin qui ferait l'affaire. Ville ou campagne, immeuble ou station essence, il n'y avait pas encore de consensus.

La rue qu'il lui désignait lui semblait prometteuse: des petits immeubles de trois ou quatre étages, qui semblaient plutôt récents, avec des balcons qui feraient de bon lieu de surveillance. La rue étroite serait facile à barricader et les commerces au rez-de-chaussée ne semblaient pas avoir été visités. Avec un peu de chance, ils y trouveraient des ressources.

"On peut peut-être jeter un oeil ?"

Abel semblait réticent et ses objections étaient pertinentes, mais Alden gardait en tête qu'il souhaitait continuer de bouger. Disait-il ça pour le décourager ou réellement par pragmatisme ? Alden décida de lui accorder le bénéfice du doute.

"Tu as raison, mais ça ne coûte rien d'aller voir, non ? Il y a peut-être une porte de sortie de l'autre côté d'un de ces immeubles, et puis la hauteur nous protège au moins des rôdeurs."

Joignant le geste à la parole, Alden s'engagea dans la rue. La présence du chien d'Abel était indéniablement un avantage lorsqu'ils se dirigeaient en terrain inconnu: ces animaux avaient le chic pour flairer le danger. Tout en avançant, Abel lui posa la question. Alden haussa les épaules. "On s'installe", on dirait qu'ils s'apprêtaient à faire un achat immobilier avec un crédit sur trente ans. Pourquoi faudrait-il être aussi définitif ? Lui n'avait aucune intention de passer le reste de sa vie dans un baraquement de fortune, mais avoir un endroit où se poser un moment, le temps de se retourner, de réfléchir à où explorer et quoi faire pour la suite lui semblait nécessaire.

"On se pose pour l'instant", corrigea-t-il en haussant les épaules. "Je sais que toi et Isaac n'êtes pas pour, mais on ne peut pas courir éternellement..." S'il fallait encore plaider sa cause, il avait des arguments en réserve. Il savait que son compagnon de route ne désespérait pas de retrouver son ancien groupe, et s'il ne pensait pas qu'il ait beaucoup de chance, Alden n'aurait pas la cruauté de le détromper. Chacun se raccrochait à ce à quoi il pouvait en ces temps, et Alden manquant lui-même de perspective encourageante, il n'avait aucune envie de plonger Abel dans son propre état d'esprit. "C'est juste un camp de base, ça ne nous empêchera pas de continuer à bouger.... à chercher." Chercher quoi, c'était une autre question. Pour Abel, c'était ses amis. Pour Alden, c'était une meilleure communauté, un endroit où se construire quelque chose. Et s'il s'avérait que la région ne contenait pas un tel lieu, il serait toujours temps de quitter sa Géorgie natale pour aller chercher ailleurs dans les USA. Ou ce qu'il en restait. Mais il préférait ne pas y penser. Ici, au moins, il connaissait un peu.

Alors qu'ils approchaient d'un premier immeuble, Abel évoqua son précédent camp. Alden sentait qu'il essayait de le convaincre du bien fondé d'une place forte de plein pied, mais le fait même qu'Abel soit des leurs aujourd'hui indiquait bien que l'idée n'avait pas forcément été pertinente. Il décida cependant de ne pas enfoncer le clou, la perte de sa... résidence étant sans doute déjà assez douloureuse.

"C'était une bonne idée" convint-il en s'approchant d'une porte entrouverte. "C'est sûr que le rez-de-chaussée à ses avantages, mais être en hauteur nous permettrait de voir venir le danger." Et les cages d'escaliers étaient suffisamment étroites pour être défendues facilement. "Sauf si on peut pallier à ça en étant au sol. Vous faisiez comment?"

La réponse d'Abel était grinçante, et, aux yeux d'Alden, dépourvu de sens. Il n'aimaient pas les temporaires qui durent, mais qu'avait-il à offrir d'autre ? "Si tu as mieux, je prends" rétorqua-t-il donc sans animosité. "Crois-moi, je ne demande pas grand chose".

Abel s'approcha de la porte et l'ouvrit sans découvrir de rôdeur de l'autre côté. C'était un bon point. Alden entra et ferma derrière lui, jetant un oeil au hall d'entrée délabré. Mais pas pillé. Ils avaient le choix : monter vers les étages ou explorer d'abord le rez de chaussée. Par habitude, Alden se dirigea vers le premier appartement à sa gauche. Toujours assurer ses arrières avant de progresser, il avait appris ça au camp militaire, et Abel et son expérience lui prouvaient encore le bien fondé de cette attitude.

"Ouais, le problème aujourd'hui c'est plus les morts que les vivants..." C'était très ironique, quand on savait que les morts étaient responsables de l'écroulement de leur monde. "Je ne suis pas sûr qu'on aurait vraiment fait une différence, tu sais... au camp, on était nombreux et bien protégés, ça ne les a pas empêché d'être pris au dépourvu". C'était un peu déprimant d'y songer, d'ailleurs. Si même des militaires avec leur entraînement n'étaient pas fichus d'établir une base sûre, comment pouvaient-ils espérer se construire une vraie vie un jour ? Alden refoula cette pensée, trop négative pour lui laisser de la place. S'il ne nourrissait pas d'espoir, autant se laisser dévorer tout de suite. Au moins, les morts n'avaient pas à se soucier de survivre. "C'est pour ça que je préférerai un peu de hauteur. C'est le seul truc qu'on n'a pas testé jusqu'à présent. Enfin, à part les bunkers, mais voir la lumière du jour c'est quand même mieux, non?"

Il eu un sourire quand Abel évoqua le jour de leur rencontre. Musclée, évidemment. Alden avait plutôt l'habitude que les gens se jaugent lorsqu'ils tombaient les uns sur les autres par hasard. Parfois, les choses dégénéraient, mais habituellement, chacun repartait le plus vite possible de son côté si aucune discussion n'était possible. Abel avait eu une approche plus... frontale, et c'était un miracle qu'il n'ait tué personne. Et qu'il se soit en plus joint à eux. Sa présence était un véritable atout pour le groupe, malgré son caractère bien trempé. "On aurait fait pareil à ta place, même si on visait moins bien" plaisanta-t-il en tapant à son tour sur la porte.

Mais elle était déjà entrouverte. Bonne ou mauvaise chose? Peu de gens étaient partis en laissant leur habitation accessible. Au contraire, fermer à clé l'endroit qu'on quittait semblait de rigueur, comme si chacun avait espéré y revenir et protéger ses possessions en attendant. Quelqu'un avait déjà du entrer là-dedans... Jetant un oeil à Abel, Alden leva son arme et poussa doucement la porte. Ils avaient fait du bruit en discutant, si un mort avait été là, il se serait déjà jeté sur eux. Quant à un vivant, il avait largement eu le temps de se cacher. Mais il n'entendait pas un bruit.

« Est-ce qu’il vaut mieux être voisin de pumas ou d’humains, par les temps qui courent ? » plaisanta Alden quand son compagnon d’exploration évoqua une autre possibilité d’hébergement qui s’était offerte à lui dans le passé. « Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas. Je ne suis pas sûr que l’endroit idéal existe ». A moins de revenir au temps des châteaux forts... Alden n’en avait jamais vu de vrai, n’ayant jamais voyagé hors des USA. Mais il supposait qu’une place forte avec des douves remplies d’eau, où à tout le moins un fossé, et plusieurs issues, constituait une bonne protection contre les morts comme contre les vivants, du moment que ces derniers n’étaient pas trop bien équipés.

Alden grimaça quand Abel évoqua le fait qu’ils devaient la vie au fait que son chien les aimait bien. Il n’avait rien contre les animaux, mais leur instinct n’avait rien à voir avec l’honnêteté ou l’humanité dont faisait preuve ceux qu’ils rencontraient. Macon avait juste du être dans un bon jour, où alors ils l’avaient approchés correctement - ils le rencontraient dix minutes plus tôt, après une course pour échapper à des rôdeurs, essoufflés et sur les nerfs, qu’il leur aurait probablement sauté dessus. La vie ne tenait pas à grand chose, mais Alden se garda de toute réflexion. Chacun avait développé ses réflexes pour survivre. On faisait avec ce que l’on avait.

En entrant dans l’appartement, Alden obéit à Abel sans discuter. Il avait pu constater l’expérience du vétéran par le passer et s’en remettait à lui sans aucun souci, content d’être avec quelqu’un qui savait ce qu’il faisait et des connaissances qu’il pouvait glaner. Après la surprise des opossums, il se dirigea vers les chambres. Vides elles aussi. Les placards ouverts ne laissaient pas beaucoup d’endroits où se cacher. « Vide » confirma-t-il en se rapprochant d’Abel à reculons.

Soudain, un craquement. Puis un autre. Des bruits de pas lents au dessus de leur tête. « Merde » grinça Alden en s’accroupissant pour se dissimuler derrière un fauteuil. C’était un réflexe inutile: ce qu’il y avait à l’étage ne pouvait de toute façon pas le voir. Il avait pris l’habitude de voir des choses surgir sans prévenir, mais il détestait être assailli par le dessus. Il se sentait vulnérable et exposé. « On fait quoi? » souffla-t-il au militaire. Il n’arrivait même pas à identifier s’il s’agissait d’un homme ou d’un rôdeur, mais il mettait sa main à couper que ce n’était pas un animal.

Alden suivit silencieusement Abel dans les étage, l'arme prête à l'emploi. Il préférait monter voir qu'abandonner l'exploration. S'il s'agissait juste de rôdeurs, l'immeuble pouvait être nettoyé et servir de planque. Et si c'était des vivants, mieux valait ne pas partir en leur tournant le dos. Abel s'apprêtait à défoncer la porte lorsqu'il aperçu une fenêtre de service. Acquiesçant en silence, Alden se glissa dans l'ouverture. Une chance qu'il ait perdu du poids depuis la fin du monde, c'aurait été bête de rester coincé ! Il n'y avait pas d'escalier de service à proprement parler, mais un échafaudage.

Alden évalua la stabilité du montage avant de s'engager. Ca ne lui disait rien qui vaille, mais il préférait savoir ce qui les attendait. Lentement, il posa un pied sur l'édifice, qui ne bougea pas. Un deuxième. Ca allait aussi, mais il allait faire vite. En quelques pas, il arriva devant la fenêtre de l'appartement qu'ils visaient. Elle était intacte et fermée, mais le soleil ne frappait pas dessus et lui permis de jeter un oeil.

Rapidement, il revint vers Abel, et lui chuchota :"Résultat du lancé de dé"